Les règles sur le dépôt des permis de construire et autres autorisations d’urbanisme ne sont pas fondamentalement affectées par l’état d’urgence, sauf la dépose matérielle du dossier.
En revanche, l’instruction des demandes subit des modifications et les délais d’obtention seront généralement plus longs. Quant aux recours, ils peuvent être déposés sans difficulté particulière.
Le dépôt des demandes
L’article L.423-1 du code de l’urbanisme constitue le socle de cette réglementation. Il énonce de manière générale ce que doit contenir un dossier de permis de construire, donc que le service instructeur (la mairie le plus souvent) peut réclamer.
Les articles réglementaires (articles R. 431-1 et s. du code de l’urbanisme) énoncent en détail les pièces à fournir, principalement pour contrôler que le projet respecte les règles d’utilisation des sols, d’implantation, de destination des constructions. Des dispositions analogues régissent les autres autorisations d’urbanisme.
En l’état, l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme ne prévoit que des dossiers papiers à déposer en mairie ou à envoyer par la poste en recommandé. L’article L. 423-3 du code de l’urbanisme n’envisage la mise en place de téléprocédures pour les autorisations d’urbanisme qu’à partir du 1er janvier 2022 et seulement dans les communes de plus de 3500 habitants.
Or, aucun des motifs de déplacement autorisés fixés par le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 [rédaction en vigueur au 10 avril 2020] prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de COVID-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire n’inclut expressément le dépôt de demandes d’autorisation. Il y a donc une incertitude sur ce point pour les particuliers. S’agissant des professionnels, une sortie pour déposer ou poster un permis de construire au titre des déplacements professionnels n’est possible que si le déplacement ne peut pas être différé.
Néanmoins, une interprétation moins rigoureuse est envisageable depuis que la modification de l’ordonnance du 23 mars 2020 par celle n° 2020-427 du 15 avril 2020 entend favoriser la reprise de la construction, ce qui suppose à l’évidence l’instruction des dossiers. Cependant, comme presque toujours en droit administratif, la formalité de la lettre recommandée ou du dépôt est une règle de preuve et non de validité. L’article R. 423-1 du code de l’urbanisme ne paraît pas d’ordre public en tant qu’il indique les modes de dépôt de la demande de permis de construire, de sorte que le dépôt par voie électronique du dossier n’invalide en rien le futur permis. Il nous semble donc, dès lors que la mairie y consent, que le dépôt électronique est possible.
Il y a certes la question de la signature, sauf à disposer d’un système de signature électronique. Toutefois, assez curieusement aucune disposition ne prévoit formellement une obligation de signer la demande de permis. En outre, le vice éventuel serait régularisable par une signature tardive une fois l’état d’urgence levé.
L’instruction des dossiers
Le formulaire de permis de construire comporte un case permettant d’accepter ou de refuser les échanges électroniques.
Particulièrement, en cette période, il est préférable d’accepter. En effet, l’article R. 423-46 permet que toute la procédure, sauf le dépôt initial soit fait par voie électronique. L’article R. 423-48 prévoit également la notification par voie électronique. Dès lors que le demandeur accepte les échanges électroniques, l’instruction du dossier, notamment s’il est incomplet ne sera pas ralenti par des échanges postaux perturbés par la crise.
Les consultations d’organismes extérieurs ne sont pas sensiblement modifiées pendant l’état d’urgence. En effet, l’article 13 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ne prévoit des dispenses de consultation que les projets de texte réglementaire ayant directement pour objet de prévenir les conséquences de la propagation du COVID-19 ou de répondre à des situations résultant de l’état d’urgence sanitaire. On verra cependant un régime particulier pour l’urbanisme.
Les délais d’instruction
Les délais d’instruction sont affectés par l’état d’urgence, mais cela a été largement modifié pour ce qui concerne les autorisations d’urbanisme.
DROIT DÉROGATOIRE GÉNÉRAL
Le droit dérogatoire général institué par l’article 7 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période prévoit que des délais de l’action administrative sont suspendus.
- Les délais qui n’avaient pas expiré au 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période de l’état d’urgence et le mois qui suit, soit jusqu’au 25 juin 2020 si l’état d’urgence n’est pas prolongé.
- Les délais qui normalement commenceraient à courir ne commenceront à courir qu’un mois après la de l’état d’urgence.
Ces règles s’appliquent aux délais impartis aux mêmes organismes ou personnes pour vérifier le caractère complet d’un dossier ou pour solliciter des pièces complémentaires dans le cadre de l’instruction d’une demande ainsi qu’aux délais prévus pour la consultation ou la participation du public. Il existe cependant de nombreuses dérogations, soit prévues dès l’origine soit ajoutées par l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020. On ne mentionne ici que celles propres aux autorisations d’urbanisme.
DROIT DÉROGATOIRE PROPRE AUX AUTORISATIONS D’URBANISME
L’article 8 de l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 crée un titre II bis dans l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 dont l’article 12 ter revient sur ce régime pour ce qui concerne.
- Les délais d’instruction non expirés avant le 12 mars 2020 sont simplement suspendus. Ils reprennent leur cours à compter de la cessation de l’état d’urgence. C’est donc beaucoup plus favorable aux demandeurs que le régime normal.
- Les délais qui normalement auraient dû commencer à courir pendant cette période partent de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.
Cela s’applique aussi aux délais dont disposent les différents services pour émettre des avis ou accords liés à l’instruction des autorisations et déclarations d’urbanisme. Ainsi, le délai d’un mois dont dispose le service instructeur (code de l’urbanisme, article R 423-38) pour demander des pièces manquantes est suspendu et non plus interrompu. Le reliquat de délai pour un dépôt antérieur au 12 mars 2020, ou la totalité pour un dossier déposé pendant l’état d’urgence sanitaire, partira de la fin de l’état d’urgence.
Il n’y aura donc pas de dossier réputé complet par l’écoulement du temps (neutralisation de l’article . 423-22 du code de l’urbanisme) pendant l’état d’urgence, mais il pourra y en avoir après. De même est temporairement neutralisé l’article L. 424-2 (repris à l’article R 424-1) du code de l’urbanisme qui prévoit que le permis est tacitement accordé si aucune décision n’est notifiée au terme du délai d’instruction. Naturellement, ce délai va commencer à courir (ou recommencer pour un permis déposé avant le 12 mars 2020) après la fin de l’état d’urgence.
Le permis tacite est généralement obtenu au bout de deux mois (code de l’urbanisme, article R 423-23). Les délais plus longs existent (de trois à dix mois), le plus courant prévu à l’article R. 423-24 étant celui de trois mois (notamment si l’avis de l’Architecte des Bâtiments de France est requis). Les permis déposés pendant la période d’état d’urgence pourront donc être tacites le 25 juillet (permis tacite au bout de deux mois) ou le 25 août (permis tacite au bout de trois mois), à condition naturellement que l’état d’urgence ne soit pas renouvelé par le Parlement.
En définitive, si la commune est en mesure d’instruire les demandes de permis, autant déposer le permis si on peut le faire. Seulement l’instruction pourra être plus longue et le permis sera nécessairement exprès et non implicite, ce qui n’est pas un inconvénient.
Le dépôt des recours
Qu’il s’agisse d’attaquer un refus de permis de construire ou d’attaquer le permis accordé à un voisin, l’état d’urgence sanitaire est sans incidence pratique, sinon le probable ralentissement de la procédure.
- En cas de refus de permis, on peut déposer le recours normalement, qu’il s’agisse d’un recours administratif ou d’un recours contentieux. Les recours administratifs et contentieux peuvent être dématérialisés sans difficultés juridique particulière, les recours contentieux l’étant obligatoirement pour les parties ayant un avocat.
- S’agissant d’un recours autres que ceux contre les autorisations délivrées aux tiers, l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais s’applique aussi en droit administratif. Il paraît donc possible, mais non nécessaire de reporter la formation des recours et les formalités de notification. Néanmoins, il est plus loyal, de notifier les recours dans les délais habituels quand on peut le faire.
Il reste de toute manière préférable de former les recours sans attendre d’autant qu’à la sortie de la crise les contentieux de toute nature risquent de saturer avocats et juridictions.
L’article 8 de l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 crée un titre II bis dans l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 et met en place un autre régime quand il s’agit de recours contre des autorisations délivrées à des tiers. Les délais non expirés avant le 12 mars 2020 ne sont plus interrompus mais seulement suspendus. Ils vont repartir pour le délai restant à courir, avec un minimum cependant de huit jours pour la durée qui restait à courir. Ceci concerne les recours contre les non-oppositions à une déclaration préalable ou d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir. Les actes réglementaires et les refus d’autorisation ne sont pas concernés.
Quant aux délais qui auraient normalement commencé à courir pendant la période d’urgence, ils vont partir de sa cessation au lieu de partir un mois après.
On notera que les délais contre les jugements rendus dans ces matières ne sont pas affectés. Ils sont donc généralement de deux mois décomptés à partir du terme d’une période d’un mois à compter de la cessation de l’état d’urgence, ce qui revient à trois mois.
Conclusion
S’agissant des demandes de permis de construire et autorisations analogues et des recours contre ces permis ou contre les refus de permis, l’état d’urgence ne génère pas une situation ingérable. Il pourrait naturellement en aller autrement car s’il devait durer longtemps la suspension de délais affaiblirait la sécurité juridique des demandeurs et des bénéficiaires de permis.
Par Me Rémi ROUQUETTE, Avocat Associé du Cabinet DBCJ Avocats, docteur HDR en droit public et auteur du « Petit traité du procès administratif » aux éditions Dalloz