Pôle fiscal : le régime fiscal de la TVA sur Marge.

par | Juin 16, 2022

Portrait de Me Angélique LABETOULE

Me Angélique LABETOULE est avocat associé au sein du cabinet DBCJ Avocats.

Avocat associé depuis juillet 2020, elle est venue renforcer le pôle fiscal de notre cabinet d’avocats.

Établie sur Fontainebleau, Me Angélique LABETOULE est compétente pour vous accompagner et vous assister au contrôle fiscal, en droit des contentieux fiscaux, en déclarations fiscales (notamment sur des aspects internationaux), en procédure de régularisation d’avoirs détenus à l’étranger. Me LABETOULE propose également du conseil en matière d’organisation patrimoniale.

Me Angélique LABETOULE, Avocat associé chez DBCJ Avocats, revient sur la TVA sur marge. C’est une saga fiscale qui tient en haleine la « taxo-sphère » depuis plusieurs années. Elle est marquée par des décisions internes contradictoires, des questions préjudicielles posées à la Cour de Justice des Communautés européennes et une multitude de réponse ministérielle venant ajouter du flou à du flou.

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Marchands de biens : le régime fiscal de la TVA sur marge ou l’arroseur arrosé ?

Explorez la saga fiscale des marchands de biens, au cœur des débats sur la TVA sur marge. De l’achat d’ensembles immobiliers à leur revente, découvrez les tensions entre la doctrine administrative, les contrôles fiscaux et les récentes décisions judiciaires. Cette plongée offre un éclairage sur l’identité juridique des biens et les conditions strictes du régime fiscal, redéfinissant le paysage financier des marchands de biens.

Des marchands de biens à l’origine de la saga sur le régime fiscal de la TVA sur marge…

À l’origine de cette saga, des marchands de biens qui achètent des ensembles immobiliers, majoritairement des maisons d’habitation assises sur de vastes terrains d’assiette.

Après avoir fait procéder à la division parcellaire des ensembles immobiliers achetés auprès de particuliers, les marchands de biens revendent le bâti ainsi qu’un ou plusieurs terrains à bâtir détachés des terrains d’assiette des immeubles acquis et résultant de la division parcellaire.

Ces opérations de revente étaient soumises au régime de la TVA sur marge prévu à l’article 268 du Code Général des Impôts.

Marchands de biens visitant un bien

En effet, le texte de l’article 268 du Code Général des Impôts dispose que : « S’agissant de la livraison d’un terrain à bâtir […] si l’acquisition par le cédant n’a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d’imposition est constituée par la différence entre, d’une part, le prix exprimé et les charges qui s’y rapportent (et) d’autre part […] les sommes que le cédant a versés à quelques titres que ce soit pour l’acquisition du terrain ou de l’immeuble. »

Une doctrine administrative entachée d’illégalité

Des contrôles fiscaux ont commencé à se faire jour au cours des années 2014 et 2015, l’administration fiscale remettant en cause l’application du régime de TVA sur marge sur la base de sa doctrine administrative (BOI TVA IMM 10 20 10 20140915) laquelle subordonne l’application d’une taxation sur la marge à certaines conditions notamment :

« Il n’y a lieu de rechercher le régime d’imposition de l’acquisition aux fins de déterminer la base d’imposition que pour les seules livraisons d’immeubles acquis et revendus en gardant la même qualification, c’est-à-dire respectivement :

  • Des terrains à bâtir qui ont été acquis précédemment comme terrains n’ayant pas le caractère d’immeubles bâtis.
  • Ou d’immeubles achetés depuis plus de 5 ans qui ont été acquis précédemment en l’état d’immeuble déjà bâti.

Cette doctrine administrative (BOI TVA IMM 10 10 40 20130107) précise également que dans l’hypothèse d’une vente portant à la fois sur un terrain à bâtir et sur un immeuble bâti, « il convient que l’acte reflète clairement la qualification respective de chaque élément en sorte que le régime approprié soit distinctement et régulièrement appliqué d’une part, au terrain à bâtir et d’autre part, à l’immeuble bâti. En règle générale, une division parcellaire devra intervenir préalablement à la mutation permettant de distinguer la part de l’emprise libre de constructions utilisables comme telles dont la cession sera taxée comme terrain à bâtir et la part déjà bâtie utilisable comme telle dont la qualification fiscale dépendra des caractéristiques propres. »

La position défendue par les marchands de biens consistait à faire valoir que la doctrine administrative précitée serait entachée d’illégalité puisqu’elle ajoutait des conditions non posées par les dispositions de l’article 268 du Code Général des Impôts.

La question de l’identité juridique du bien

Alors que les juridictions internes étaient majoritairement favorables à la position soutenue par les marchands de biens.

L’arrêt du Conseil d’État du 27 mars 2020[1] a douché les espoirs des marchands de biens en considérant qu’il résulte des dispositions de l’article 268 du CGI ; lues à la lumière de celles de l’article 392 de la directive 2006/112/CE dont elles ont pour objet d’assurer la transposition, que les règles de calcul dérogatoires de la TVA qu’elles prévoient s’appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente.

Elles ne s’appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un terrain bâti, quand le bâtiment qui y était édifié a fait l’objet d’une démolition de la part de l’acheteur-revendeur ou quand le bien acquis a fait l’objet d’une division parcellaire en vue d’en céder séparément des parties ne constituant pas le terrain d’assiette du bâtiment.

Propriétaires vendant un terrain à bâtir à un marchand de biens.

Cette position a été confirmée par la Cour de Justice des Communautés Européennes qui dans une ordonnance du 10 février 2022 (affaire 191/21, min c/ les Anges d’eux) a jugé que l’article 392 de la directive 2006/112/CE doit être interprété en ce sens qu’il exclut l’application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons de terrains à bâtir lorsque ces terrains acquis sont devenus entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti des terrains à bâtir. Mais, il n’exclut pas l’application de ce régime à des opérations de livraisons de terrains à bâtir lorsque ces terrains ont fait l’objet entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti de modifications de leurs caractéristiques telles qu’une division en lots.

La question de l’identité juridique du bien est donc définitivement tranchée : il faut acheter et revendre un terrain à bâtir pour appliquer le régime de TVA sur la marge.

[1] CE 8e-3e ch. 27-3-2020 n° 428234, min. c/ SARL Promialp :  RJF 6/20 n° 524 , concl. K. Ciavaldini (C 524)

La question de l’identité juridique définitivement tranchée !

Cette position a été confirmée par la Cour de Justice des Communautés Européennes qui dans une ordonnance du 10 février 2022 (affaire 191/21, min c/ les Anges d’eux) a jugé que l’article 392 de la directive 2006/112/CE doit être interprété en ce sens qu’il exclut l’application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons de terrains à bâtir lorsque ces terrains acquis sont devenus entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti des terrains à bâtir mais qu’il n’exclut pas l’application de ce régime à des opérations de livraisons de terrains à bâtir lorsque ces terrains ont fait l’objet entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti de modifications de leurs caractéristiques telles qu’une division en lots.

La question de l’identité juridique du bien est donc définitivement tranchée : il faut acheter et revendre un terrain à bâtir pour appliquer le régime de TVA sur la marge.

[1] CE 8e-3e ch. 27-3-2020 n° 428234, min. c/ SARL Promialp :  RJF 6/20 n° 524 , concl. K. Ciavaldini (C 524)

Dans quel cas de figure appliquer la TVA sur marge ?

Le coup de grâce ultime est également venu de la Cour de Justice des Communautés Européennes saisie sur questions préjudicielles.

En effet, s’agissant de l’autre condition d’application du régime de TVA sur marge exigeant que l’acquisition par le cédant ne doit pas avoir ouvert droit à déduction de la TVA, la CJUE a adopté une approche très restrictive dans une décision du 30 septembre 2021 reprise par le Conseil d’État dans son arrêt ICADE PROMOTION du 22 mai 2022.

Ainsi, le régime de TVA sur marge ne trouverait à s’appliquer que dans les deux cas de figure suivants :

  • Pour les livraisons de terrains à bâtir lorsque leur acquisition a été soumise à la TVA, sans que l’assujetti qui les revend ait eu le droit de déduire cette taxe. Cette hypothèse renvoie à l’achat d’un immeuble non affecté à des opérations effectivement taxées ou assimilées, c’est-à-dire des situations hors-champ de la TVA ou des opérations exonérées de TVA.
  • Et lorsque l’acquisition n’a pas été soumise à la TVA mais uniquement si le prix auquel le revendeur a acquis ces biens incorpore un montant de TVA ayant été acquitté en amont par le vendeur initial. Toutefois, en dehors de cette hypothèse, la TVA sur marge ne s’applique pas à des opérations de livraisons de terrains à bâtir dont l’acquisition initiale n’a pas été soumise à la TVA, soit qu’elle se trouve en dehors de son champ d’application, soit qu’elle s’en trouve exonérée.

Projet de construction d’immeubles de standing avec espaces verts sur des terrains à bâtir

L’application du régime de la marge lorsque l’acquisition n’est pas soumise à TVA conduira de facto le revendeur à vérifier le traitement TVA de l’acquisition de l’immeuble par le vendeur.

En application de la jurisprudence dégagée par le Conseil d’État, les opérations d’achat revente de terrains à bâtir auprès de particuliers ne pourraient être soumises au régime de la TVA sur marge sauf à être en mesure de démontrer que le prix d’acquisition comporte une TVA d’amont payée par le vendeur.

En d’autres termes, pour appliquer le régime de la TVA sur marge, il faudrait que le marchand de biens acquiert des terrains à bâtir auprès de particuliers ayant eux-mêmes supporté une TVA à l’acquisition, ce qui devrait être rare en pratique depuis la réforme de la TVA immobilière de 2010.

Le régime de la TVA sur la marge, une exception pour les opérations de marchand de biens ?

En l’état, l’application du régime de la TVA sur la marge devrait devenir l’exception pour les opérations de marchand de biens réalisées avec des vendeurs particuliers compte tenu de cette approche très restrictive de la condition tenant au fait que l’acquisition par le cédant ne doit pas avoir ouvert droit à déduction de la TVA.

In fine, il apparait que les contestations qui se sont élevées contre la doctrine administrative française et qui ont abouti à l’intervention du juge communautaire non seulement ont débouché sur la confirmation de la condition d’identité litigieuse que ces dernières visaient à faire annuler mais de surcroit ont ouvert de nouvelles restrictions au champ d’application du régime de TVA sur marge qui n’existaient pas en droit interne français.

Tel est pris qui croyait prendre…

En outre, la condition tenant à l’absence d’ouverture de droit à déduction sur l’acquisition réalisée par le cédant posée par la CJUE et le Conseil d’État parait en contradiction avec la doctrine administrative (BOI-TVA-IMM-10-10-10-40) ce qui place les opérateurs dans une situation insécurisante : peuvent-ils appliquer une doctrine administrative qui leur est plus favorable mais qui est contraire à la jurisprudence communautaire ?

La réponse ministérielle Grau publiée le 1ᵉʳ février 2022.

C’est dans ce contexte particulier qu’est intervenue la réponse ministérielle Grau publiée le 1ᵉʳ février 2022.

Dans cette réponse, l’administration indique qu’à la suite de l’arrêt ICADE Promotion SAS (CJUE 30-9-2021 aff. 299/20 : FR 43/21 inf. 1 p. 3), elle tirera les conséquences de cette décision lorsque le Conseil d’État aura tranché le litige national ayant donné lieu à la saisine de la Cour (qui est intervenu le 12 mai dernier) et apportera des précisions quant à l’application aux opérations immobilières en cours de sa doctrine relative au régime de la TVA sur la marge. Elle précise également que les revendeurs peuvent toujours se prévaloir de la doctrine administrative à condition que l’acquisition ait lieu, ou que le compromis de vente soit signé, antérieurement à une nouvelle publication.

De manière plus générale, il convient de relever que la réponse attribue un champ d’application très large au L80 A en estimant que « cette garantie permet au contribuable de bonne foi de se prévaloir de l’interprétation faite par l’administration d’un texte, même contraire au droit de l’Union tel que précisé par la jurisprudence de la CJUE ».

S’agissant de la sortie du nouveau BOFIP, aucune date précise n’a été communiquée mais les travaux de rédaction ont normalement débuté depuis l’arrêt du Conseil d’État dans l’affaire ICADE.

En conclusion

Le régime de TVA sur la marge ne devrait pas être remis en cause s’agissant de la condition de la déduction de la TVA d’amont s’agissant des opérations de revente ayant donné lieu à une promesse de vente signée avant la publication des nouveaux commentaires (qui ne sont pas encore intervenus).

Il convient d’attendre les commentaires de l’administration à la suite de l’arrêt ICADE PROMOTION du 12 mai 2022 s’agissant de l’adaptation du régime de la TVA sur marge dont la pérennité est plus que jamais en danger de la même façon que l’équilibre financier des marchands de biens dont les opérations ne présenteront plus la même rentabilité.

Vous souhaitez en savoir plus ?

Notre cabinet DBCJ Avocats est compétent pour vous accompagner sur le régime de TVA sur marge et vous conseiller dans toutes vos démarches.

 

 

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